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bien conseillé, à moins que le hasard ne l'ait mis entièrement entre les mains de
quelque homme très habile, qui seul le maîtrise et le gouverne ; auquel cas, du reste, il
peut, à la vérité, être bien conduit, mais pour peu de temps, car le conducteur ne
tardera pas à s'emparer du pouvoir. Mais hors de là, et lorsqu'il sera obligé d'avoir
plusieurs conseillers, le prince qui manque de sagesse les trouvera toujours divisés
entre eux, et ne saura point les réunir. Chacun de ces conseillers ne pensera qu'à son
intérêt propre, et il ne sera en état ni de les reprendre, ni même de les juger : d'où il
s'ensuivra qu il n'en aura jamais que de mauvais, car ils ne seront point forcés par la
nécessité à devenir bons. En un mot, les bons conseils, de quelque part qu'ils
viennent, sont le fruit de la sagesse du prince, et cette sagesse n'est point le fruit des
bons conseils.
Nicolas Machiavel (1515) Le Prince 75
Le Prince
CHAPITRE XXIV
Pourquoi les princes d'Italie
ont perdu leurs États.
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Le prince nouveau qui conformera sa conduite à tout ce que nous avons remarqué
sera regardé comme ancien, et bientôt même il sera plus sûrement et plus solidement
établi que si son pouvoir avait été consacré par le temps. En effet, les actions d'un
prince nouveau sont beaucoup plus examinées que celles d'un prince ancien ; et quand
elles sont jugées vertueuses, elles lui gagnent et lui attachent bien plus les cSurs que
ne pourrait faire l'ancienneté de la race; car les hommes sont bien plus touchés du
présent que du passé ; et quand leur situation actuelle les satisfait, ils en jouissent sans
penser à autre chose ; ils sont même très disposés à maintenir et à défendre le prince,
pourvu que d'ailleurs il ne se manque point à lui-même.
Le prince aura donc une double gloire, celle d'avoir fondé un État nouveau, et
celle de l'avoir orné, consolidé par de bonnes lois, de bonnes armes, de bons alliés et
de bons exemples ; tandis qu'au contraire, il y aura une double honte pour celui qui,
né sur le trône, l'aura laissé perdre par son peu de sagesse.
Si l'on considère la conduite des divers princes d'Italie qui, de notre temps, ont
perdu leurs États, tels que le roi de Naples, le duc de Milan et autres, on trouvera
d'abord une faute commune à leur reprocher, c'est celle qui concerne les forces mili-
taires, et dont il a été parlé au long ci-dessus. En second lieu, on reconnaîtra qu'ils
Nicolas Machiavel (1515) Le Prince 76
S'étaient attiré la haine du peuple, ou qu'en possédant son amitié, ils n'ont pas su
s'assurer des grands. Sans de telles fautes, on ne perd point des États assez puissants
pour mettre une armée en campagne.
Philippe de Macédoine, non pas le père d'Alexandre le Grand, mais celui qui fut
vaincu par T. Quintus Flaminius, ne possédait qu'un petit État en comparaison de la
grandeur de la république romaine et de la Grèce, par qui il fut attaqué ; néanmoins,
comme c'était un habile capitaine, et qu'il avait su s'attacher le peuple et s'assurer des
grands, il se trouva en état de soutenir la guerre durant plusieurs années ; et si, à la
fin, il dut perdre quelques villes, du moins il conserva son royaume.
Que ceux de nos princes qui, après une longue possession, ont été dépouillés de
leurs États, n'en accusent donc point la fortune, mais qu'ils s'en prennent à leur propre
lâcheté. N'ayant jamais pensé, dans les temps de tranquillité, que les choses pouvaient
changer, semblables en cela au commun des hommes qui, durant le calme, ne
s'inquiètent point de la tempête, ils ont songé, quand l'adversité s'est montrée, non à
se défendre, mais à s'enfuir, espérant être rappelés par leurs peuples, que l'insolence
du vainqueur aurait fatigués. Un tel parti peut être bon à prendre quand on n'en a pas
d'autre ; mais il est bien honteux de s'y réduire : on ne se laisse pas tomber, dans
l'espoir d'être relevé par quelqu'un. D'ailleurs, il n'est pas certain qu'en ce cas un
prince soit ainsi rappelé ; et, s'il l'est, ce ne sera pas avec une grande sûreté pour lui,
car un tel genre de défense l'avilit et ne dépend pas de sa personne. Or il n'y a pour un
prince de défense bonne, certaine, et durable, que celle qui dépend de lui-même et de
sa propre valeur.
Nicolas Machiavel (1515) Le Prince 77
Le Prince
CHAPITRE XXV
Combien, dans les choses humaines,
la fortune a de pouvoir,
et comment on peut y résister.
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Je n'ignore point que bien des gens ont pensé et pensent encore que Dieu et la
fortune régissent les choses de ce monde de telle manière que toute la prudence
humaine ne peut en arrêter ni en régler le cours : d'où l'on peut conclure qu'il est
inutile de s'en occuper avec tant de peine, et qu'il n'y a qu'à se soumettre et à laisser
tout conduire par le sort. Cette opinion s'est surtout propagée de notre temps par une
conséquence de cette variété de grands événements que nous avons cités, dont nous
sommes encore témoins, et qu'il ne nous était pas possible de prévoir - aussi suis-je
assez enclin à la partager.
Néanmoins, ne pouvant admettre que notre libre arbitre soit réduit à rien, j'ima-
gine qu'il peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu'elle
en laisse à peu près l'autre moitié en notre pouvoir. Je la compare à un fleuve impé-
tueux qui, lorsqu'il déborde, inonde les plaines, renverse les arbres et les édifices,
enlève les terres d'un côté et les emporte vers un autre : tout fuit devant ses ravages,
tout cède à sa fureur; rien n'y peut mettre obstacle. Cependant, et quelque redoutable
qu'il soit, les hommes ne laissent pas, lorsque l'orage a cessé, de chercher à pouvoir
s'en garantir par des digues, des chaussées et autres travaux ; en sorte que, de nou-
velles crues survenant, les eaux se trouvent contenues dans un canal, et ne puissent
Nicolas Machiavel (1515) Le Prince 78
plus se répandre avec autant de liberté et causer d'aussi grands ravages. Il en est de
même de la fortune, qui montre surtout son pouvoir là où aucune résistance n'a été
préparée, et porte ses fureurs là où elle sait qu'il n'y a point d'obstacle disposé pour
l'arrêter.
Si l'on considère l'Italie, qui est le théâtre et la source des grands changements que
nous avons vus et que nous voyons s'opérer, on trouvera qu'elle ressemble à une vaste
campagne qui n'est garantie par aucune sorte de défense. Que si elle avait été pré-
munie, comme l'Allemagne, l'Espagne et la France, contre le torrent, elle n'en aurait
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